La Bibliothèque de Lyon libère le domaine public avec la Licence Ouverte

Je ne sais pas exactement quand ce changement est intervenu, mais il est loin d’être anodin. La Bibliothèque Municipale de Lyon a modifié les conditions d’utilisation de Numelyo, sa bibliothèque numérique lancée en 2012. A l’ouverture, le choix avait été fait d’appliquer une licence Creative Commons CC-BY-NC-ND (Paternité – Pas d’Usage Commercial – Pas de modification), y compris aux fichiers correspondant à des oeuvres appartenant au domaine public. Or on constate que ce n’est plus le cas à présent : les oeuvres diffusées sont accompagnées de la mention « Domaine public. Licence Ouverte – Open Licence ». En témoigne par exemple l’estampe ci-dessous, signée Rembrandt.

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Adam et Eve. Par Rembrandt. Source : Bibliothèque Municipale de Lyon. Domaine Public – Licence Ouverte.

Tourner la page du copyfraud 

La Licence Ouverte est un contrat-type élaboré par la mission Etalab pour encadrer la réutilisation des données publiques en accord avec les principes de l’Open Data. Elle autorise les réutilisations à toutes fins, y compris dans un cadre commercial, à la seule condition de citer la source. En 2012 au lancement de NumeLyo, j’avais écrit un billet pour dénoncer les anciennes conditions d’utilisation du site, car la licence Creative Commons retenue ajoutait de nouvelles couches de droits sur le domaine public, constitutives d’une forme de Copyfraud (revendication abusive de droits). Par ailleurs, un gros problème de validité juridique se posait, car seul le titulaire d’un droit d’auteur peut utiliser régulièrement une licence Creative Commons. Or pour des reproductions fidèles d’oeuvres en deux dimensions, la condition d‘originalité, indispensable pour revendiquer un droit d’auteur, fait défaut, ce qui privait de fondement la licence retenue.

Avec la Licence Ouverte, les choses deviennent différentes. Certes, l’obligation de citer la source s’ajoute au domaine public « pur », mais c’est une condition d’utilisation qui ne neutralise pas les libertés d’usage offertes par le domaine public, notamment en ce qui concerne la rediffusion, l’usage commercial et la modification des images. Aux cotés de la licence CC0 ou de la Public Domain Mark, on peut donc la ranger dans les bonnes pratiques en matière de numérisation. La BM de Lyon est donc passée à une politique de diffusion plus respectueuse du domaine public. La résolution des images reste encore un peu faible pour des usages autres que de la diffusion web, mais il y a incontestablement un pas effectué dans la bonne direction.

Pas d’obstacle du côté du partenariat signé avec Google

Ce changement de politique mérite d’être souligné à deux titres. D’abord parce que la BM de Lyon constitue la deuxième bibliothèque publique de France par l’importance de ses collections, derrière la BnF. Cela signifie qu’un « poids lourd » du monde culturel a décidé d’opter pour une politique d’ouverture. Ensuite, parce qu’il faut se rappeler que la BM de Lyon se trouve dans une situation très particulière, du fait du partenariat conclu avec Google en 2008, qu’elle est la seule à avoir retenu  en France pour la numérisation de ses collections d’ouvrages imprimés.

Or quand on regarde attentivement, on constate que la Licence Ouverte est appliquée sur NumeLyo aux documents iconographiques (estampes, affiches, photographies, etc.) mais aussi aux livres numérisés, ce qui est a priori plus surprenant, car ils sont issus des travaux de Google.

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La licence ouverte figure bien dans la mention de droits sous cet ouvrage numérisé accessible dans NumeLyo.

Le contrat conclu avec le moteur de recherche est en effet censé comporter une clause d’exclusivité commerciale courant pour une période de 25 ans, et donc théoriquement applicable jusqu’en… 2033 ! Mais la portée réelle de cette clause restait jusqu’à présent relativement incertaine. On ne savait pas notamment jusqu’à quel point elle pouvait produire des effets sur la rediffusion des copies numériques remises par Google à l’établissement. L’entreprise avait même laissé entendre qu’elle n’avait pas réellement l’intention d’en demander l’application.

Or visiblement, la clause d’exclusivité n’a pas empêché le passage des fichiers sous Licence Ouverte, ce qui est tout sauf anodin. Parmi tous les partenaires du programme Google Books, La BM de Lyon avait déjà échappé à l’exclusivité d’indexation que Google impose normalement aux bibliothèques en leur interdisant d’ouvrir leur site à des moteurs de recherche concurrents, en contrepartie de la numérisation gratuite de leurs collections. La levée à présent des restrictions d’usage commercial sur les fichiers gomme un autre aspect des « conséquences toxiques » pour le domaine public que l’on pensait attachées aux contrats conclus avec Google.

Un recul progressif des enclosures en bibliothèque ? 

En 2012 lorsque j’avais écrit mon premier billet sur NumeLyo, j’avais fortement critiqué l’usage bancal qui était fait des licences Creative Commons NC (Non Commercial). Celles qui pesaient sur les ouvrages numérisés pouvait apparaître comme une répercussion de l’exclusivité commerciale imposée par Google. Mais pour les documents iconographiques, il ne pouvait en être de même, car ceux-ci ont été numérisés par la BM de Lyon avec ses propres moyens, sans intervention de Google.

Dès lors, le copyfraud était uniquement imputable à l’établissement public et je concluais mon article en faisant remarquer que l’acteur public s’avérait ici aussi néfaste en fin de compte que l’acteur privé : la même logique d’enclosure venait neutraliser le bien commun qu’aurait dû rester le domaine public numérisé. Comme le dit très bien Philippe Aigrain, « l’acte de numérisation d’une œuvre du domaine public est un acte qui crée des droits pour tout un chacun, pas un acte au nom duquel on pourrait nous en priver.« 

Mais heureusement, les choses sont graduellement en train de changer et le revirement de politique de la BM de Lyon en faveur de la Licence Ouverte en constitue une illustration. En effet, il ne s’agit pas d’un cas isolé dans le secteur des bibliothèques. D’autres bibliothèques territoriales ont fait le choix de renoncer au copyfraud (voir la Bibliothèque numérique du Limousin ou les Tablettes rennaises, par exemple) et du côté des bibliothèques universitaires, la plupart des grands établissements disposant de collections patrimoniales ont opté pour la Licence Ouverte (BNUS, BIUS, BDIC, BabordNum) ou la Public Domain Mark (Bibliothèque Sainte Geneviève).

Une belle affiche de Steinlen sous Licence Ouverte, figurant sur Numelyo.

Cette progression de l’ouverture ne fait finalement qu’isoler un peu plus les établissements qui s’accrochent encore de leur côté à des politiques restrictives. C’est le cas en particulier de la Bibliothèque nationale de France qui maintient une restriction d’usage commercial pour sa bibliothèque numérique Gallica. Avec le recul, on s’aperçoit aussi que le partenariat de Lyon avec Google s’avère moins néfaste que les partenariats Public-Privé de numérisation conclus à partir de 2013 par la BnF. Le premier passé avec la firme Proquest comportait en effet une exclusivité d’accès empêchant l’essentiel des documents numérisés d’aller en ligne pendant 10 ans, tandis que les plus récents, comme celui conclu pour la numérisation de la presse avec RetroNews, ont évolué vers une politique de Freemium, en apparence plus acceptable, mais  imposant toujours des restrictions d’usage considérables.

***

Avec le nouveau cadre législatif posé par les lois Lemaire et Valter (voir ici dans l’intro de ce billet), les établissements culturels français vont hélas conserver parmi les administrations une forme de « privilège » leur permettant de lever des redevances sur la réutilisation du produit de la numérisation de leurs collections. C’est dire que d’ici la fin de l’année, le copyfraud sera pour ainsi dire « légalisé » en France…

Mais cela ne les empêchera pas pour autant d’opter volontairement pour des politiques d’ouverture, à l’image de la BM de Lyon. Même si c’est moins vrai pour les musées et les archives, le copyfraud a reculé graduellement ces dernières années sur la base de politiques volontaristes conduites par des bibliothèques. C’est un changement de culture professionnelle qu’il faut saluer et dont on espère qu’il se poursuivra.


8 réflexions sur “La Bibliothèque de Lyon libère le domaine public avec la Licence Ouverte

  1. Ce revirement est peut être l’effet de la loi Valter, qui n’est pas une loi si mauvaise que ça. Cette loi impose la gratuité par défaut. Les établissements qui souhaitent établir une redevance doivent le faire clairement à travers une licence d’utilisation. Or La Bibliothèque de Lyon n’a peut être pas envie de se lancer dans ce genre d' »affaires », et dès lors la gratuité était obligatoire, avec ou sans licence ouverte.

    1. C’est une hypothèse, mais je ne pense pas que ce soit le cas, car la loi Valter a exactement l’effet inverse. Elle pose bien un principe de gratuité pour la réutilisation des données publiques, mais elle en exonère les établissements culturels, en leur donnant la possibilité de lever des redevances sur la réutilisation des images d’oeuvres numérisées. Cela grave dans le marbre ce qui auparavant pouvait encore être considéré comme une forme d’abus (copyfraud). Mais vous avez peut-être raison de dire que la BM de Lyon n’a pas (ou plus) eu envie de se lancer dans ce genre de gestion des droits de reproduction. Un certain nombre d’établissements qui avaient ce type de politique ont choisi d’en changer, car la gestio s’avérait au final plus lourde (et indirectement coûteuse) que ce qu’elle rapportait. Voir par exemple ce témoignage de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg : https://alatoisondor.wordpress.com/2012/03/21/il-est-de-notre-mission-de-service-public/

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